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Photo du rédacteurFlorence Jalice

Du dessin, à la gravure, à la peinture… La ronde de l’inspiration

Héliodore Pisan, graveur, trait d’union entre Gustave Doré et Vincent Van Gogh


Je suis allée visiter la belle exposition La Collection Morozov icônes de l’art Moderne à la Fondation Louis Vuitton à Paris. Dans ce billet, je vous présente mon tableau coup de cœur et vous emmène sur les traces d’un graveur du XIXème siècle au talent immense dont j’ai découvert l'œuvre en faisant des recherches après cette visite…


Mon tableau coup de cœur : la ronde des prisonniers de Vincent Van Gogh

Dans la petite salle 10 de la Fondation Louis Vuitton, circulaire, aux murs sombres, ne figure qu’un seul tableau, La ronde des prisonniers de Vincent Van Gogh. La muséographie de l’exposition installe un éclairage tel que la lumière semble émaner non d'un projecteur, mais de la toile :

Accrochage du tableau de Vincent Van Gogh "la ronde des prisonniers" dans l'exposition Morozov à la fondation Louis Vuitton à Paris 2022
Vincent van Gogh - La Ronde des prisonniers, Saint-Rémy, 1890 Huile sur toile - 80,0 × 64,0 cm - prêt du Musée d’État des beaux-arts Pouchkine, Moscou

Comme son nom l’indique, ce tableau représente des prisonniers en promenade dans une cour de prison (celle de Newgate). En ronde serrée, surveillés par des gardiens, tête basse, ils tournent.


Cette œuvre peu connue de Vincent Van Gogh est très frappante. L'usage des couleurs complémentaires (bleu et orange) et l'opposition entre les teintes froides et les teintes chaudes est magnifique. Nous apprenons qu’elle a fait partie des œuvres présentées auprès de son cercueil à sa mort (comme l’a rapporté Emile Bernard qui a fait un parallèle entre la condition des prisonniers et la condition de l’artiste dans la société).


Spectateurs impuissants de cette ronde désespérée, les regardeurs, sidérés, sont dévisagés par un personnage. Serait-ce Vincent lui-même, nous adressant un message désespéré ?


Les estampes, sources d’inspiration pour Vincent lors de son internement

Entre 1879 et 1880, Vincent Van Gogh peignait depuis l’hospice Saint-Paul-de-Mausole à Saint-Rémy-de-Provence où il était interné volontaire. Manquant de sujets, il a réalisé plusieurs toiles inspirées de inspirées de lithographies, gravures sur bois reproduisant des dessin et peintures : d'après Millet (les premiers pas), Honoré Daumier (les buveurs), Delacroix (le bon Samaritain), Rembrandt (la résurrection de Lazare)… que son frère Théo lui envoyait.


Dans ses lettres à son frère Théo, Vincent évoque cette pratique. On y lit (Lettres de Vincent Van Gogh à son frère Théo, Grasset 1937 pp 290 de la réédition de 1988) : “Cela m’a fait plaisir, ce que tu dis de la copie d’après Millet : La Veillée. Plus j’y réfléchis, plus je trouve que cela ait sa raison d’être de chercher à reproduire des choses de Millet, que celui-ci n’a pas eu le temps de peindre à l’huile. Alors travaillant soit sur ses dessins, soit sur les gravures sur bois, c’est pas copier pur et simple que l’on ferait. C’est plutôt traduire dans une autre langue - celles des couleurs - les impressions clair-obscur en blanc et noir. “


Nous pouvons voir que c’est exactement ce qu’a fait Vincent lorsqu’il a interprété le dessin de Gustave Doré En prison (la promenade des détenus)...

Le site de la Bibliothèque nationale de France nous présente un fac-similé de l’ouvrage dans lequel est publiée la gravure qui a inspiré Vincent. Elle est réalisée d’après le dessin original de Gustave Doré, peintre, lithographe et sculpteur de génie très connu pour ses estampes.



En réalité, Gustave Doré a très peu gravé lui-même, confiant généralement ses dessins à des graveurs.


Le site de la Bibliothèque nationale de France nous apprend que cette estampe est une gravure sur bois, réalisée par Héliodore Pisan. De grand talent, il était l’un des principaux et des meilleurs graveurs-interprètes de Gustave Doré (pour faire un voyage au pays de la gravure, suivez le fil de l’article Wikipedia qui lui est consacré).

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Je n’ai pas trouvé le dessin original de Gustave Doré… Or j’apprends dans l’excellent blog "Orion en aéroplane” que le Maître dessinait souvent directement à la gouache sur le bois et que donc ses illustrations originales étaient détruites au fil de l’avancement du travail du graveur ! Cela peut expliquer pourquoi je n'ai pas trouvé trace du dessin original...


Voilà un exemple d'un dessin réalisé par Gustave Doré sur du bois, et qui n'a été qu'en partie seulement gravé par Héliodore Pisan. Le travail n'a pas été terminé et a été abandonné (pour notre plus grand plaisir) :

Drawing on woog by Gustave Doré partially engraved by Héliodore Pisan
« Et l'on acheva de bien laver Don Quichotte. » Drawing from Gustave Doré, partially engraved by Héliodore Pisan.

C’est donc un graveur qui a servi de passeur entre Gustave Doré et Van Gogh pour qu’arrive jusqu’à nous cette oeuvre si émouvante.


La boucle est-elle bouclée ? Pas si sûr…

Dans la ronde de l’inspiration, nous découvrons que le dessin de Gustave Doré a été gravé par Héliodore Pisan et peint par Vincent Van Gogh. En étant un peu plus curieux, nous apprenons que cette belle peinture a servi d'inspiration dans une scène du film Orange Mécanique de Stanley Kubrick… La fondation Anthony Burgess explique sur son site (c'est moi qui traduis) : "Lorsqu'Alex est emprisonné, il y a une scène dans laquelle les prisonniers tournent en rond en rang serré dans une petite cour. Il s'agit de la re-création de la peinture de 1890 de Vincent Van Gogh "La ronde des prisonniers" (d'après Doré). L'estampe originale de Gustave Doré dépeint une scène semblable, si l'on excepte l'usage de la couleur de Van Gogh."


La gravure de Gustave Doré et les interprétations postérieurs en peinture par Vincent Van Gogh et dans le film de Stanley Kubrick
La gravure de Gustave Doré, la peinture de Vincent Van Gogh, une scène du film de Kubrick

Une ronde bien est un cercle qui n’a pas de début et pas de fin et celle des prisonniers n’échappe pas à la règle…


 

Sources et lectures complémentaires



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